À quelques kilomètres des marais du Poitou, dans le petit village de Curzon en Vendée, plane encore l’ombre d’une ancienne malédiction. Jadis, ce lieu ne s’appelait pas Curzon mais Curbon, et il avait fière allure : un château fort imprenable, de nombreuses églises et un port animé sur le Lay, connu sous le nom du Port-la-Claye. La cité prospérait, et beaucoup murmuraient que ce succès n’était pas dû qu’à la sueur des hommes, mais aussi à la bienveillance des fées qui veillaient sur elle.
Tout semblait sourire à Curbon jusqu’au jour où l’amour et la jalousie vinrent tout bouleverser. La reine des Fées, touchée par la passion d’une de ses protégées pour un jeune noble du marais poitevin, décida de leur venir en aide. Pour sceller leur amour, elle ordonna la construction d’un pont magique sur le Lay, reliant Curbon à Saint-Denis-du-Payré. Tout devait rester secret, évidemment.
Mais voilà, il y avait dans la région un bûcheron au cœur lourd. Lui aussi était tombé sous le charme de la fée. Rongé par la jalousie, il décida de saboter ce projet interdit. La nuit tombée, alors qu’une fée commençait à charrier les premières pierres – une lourde “dornée” comme on disait alors – le bûcheron mit son plan en marche. Il s’empressa de réveiller le coq du village, sachant que son chant annoncerait l’aube et effrayerait les créatures féériques.
À peine le coq poussa-t-il son cri que la fée, surprise, laissa échapper son lourd fardeau qui tomba dans les eaux noires du Lay. Furieuse et trahie, elle s’enfuit en lançant une terrible malédiction qui résonne encore dans les mémoires :
« Démesi Curbon / P’tit’ vill’ de grand renom, / T’appelleras Curzon / Curzon, Curzonnas, / Le sort en est jeté, / Chaque an te varieras / d’in’ maille et d’in denier ! »
Depuis ce jour, l’orgueilleuse Curbon est devenue Curzon, une commune modeste, oubliée des grandes routes de la fortune. Le château a disparu, les églises se sont tues et le port n’est plus qu’un souvenir noyé dans les brouillards du marais.
Certains anciens, assis sous les tilleuls de la place, jurent que la malédiction pèse toujours. Chaque année, Curzon perdrait un peu plus de sa richesse, comme la fée l’avait promis, maille après maille, denier après denier…