Au sommet du pignon de l’église, un monstre pétrifié veille silencieusement. Jadis, l’église était une majestueuse abbatiale datant du XIIIe siècle, mais maintenant elle est surmontée d’un être terrifiant en pierre : le Troussepoil. Cette créature massive prend la forme d’un immense ours qui porte une croix pesante sur son dos. Son regard de pierre contemple inlassablement le paysage, gardien de secrets oubliés.

Le vallon de Troussepoil, jadis un repaire paisible, était autrefois le territoire d’une bête noire redoutable, semblable à un ours, le fameux “Troussepoil”. Ce monstre dévastait les contrées environnantes, ses longs poils noirs se dressant telles des épines menaçantes. D’après la légende, il trouvait un plaisir malsain à se baigner dans le ruisseau serpentant au fond du vallon. On dit que son nom lui vient du fait qu’il émergeait des eaux, le pelage hirsute. Les femmes et les vaches étaient ses proies favorites, et chaque jour, il se nourrissait de leur chair. Les habitants désespérés suppliaient les forces supérieures de les délivrer de ce fléau dévastateur.

Le légat du pape s’offrit pour exorciser la bête, mais il échoua, ayant embrassé une jeune fille le matin même. L’abbé de Fontaines connut le même sort funeste, car il avait ingéré quatre chopines de vin passé minuit. Quant à l’abbé de Talmont, il échoua également, car il avait brutalement asséné un coup fatal à un paysan qui osait lui barrer le chemin.

Cependant, l’abbaye d’Angles était dirigée par un homme saint, nommé Martin, qui décida de se mesurer à l’horreur. Conscient du danger, il consacra cinq jours et cinq nuits à la prière, implorant les puissances divines. Armé de son bâton sacré et marquant chaque geste de croix, il parvint à attirer la bête docilement vers lui. Comme s’il obéissait à une force supérieure, l’effrayant monstre suivit Martin jusqu’au cœur d’Angles, se comportant comme un agneau pacifié. Les hommes et les femmes entonnèrent des chants d’allégresse, mais les jeunes filles, de nature taquine, ne purent s’empêcher de lancer : “Père Martin, depuis quand êtes-vous devenu le berger du diable ?

Le sage abbé ne répondit pas, préférant hisser la bête au sommet du pignon de l’église. Là, elle demeure encore, figée dans la pierre. Et lorsqu’elle fut transformée en une statue de granit par un nouveau signe de croix, Martin déclara solennellement : “Désormais, ta subsistance dépendra de la beauté des filles d’Angles.” La légende raconte ensuite qu’à partir de ce jour funeste, les jeunes filles qui avaient été jadis resplendissantes perdirent toute leur grâce, leur beauté se fanant tel un triste écho du passé.

Ainsi perdure l’énigmatique histoire du Troussepoil, emprisonné à jamais dans la pierre, observant silencieusement le monde qui l’entoure. Son étreinte sur l’église séculaire d’Angles demeure un mystère captivant, un rappel puissant des forces occultes qui peuvent affliger l’humanité. À chaque lever de lune, lorsque les rayons argentés illuminent la créature de pierre, l’atmosphère semble imprégnée d’une étrange énergie, d’une aura inquiétante. Les habitants d’Angles continuent de murmurer à voix basse, se demandant si le monstre pétrifié garderait toujours son secret, ou s’il révélerait un jour les sombres vérités dissimulées dans les plis de son pelage de pierre.

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