Chaque année, au crépuscule du dimanche des Rameaux, un événement extraordinaire se produisait : le rocher de Saint-Roman s’ouvrait mystérieusement. Ce phénomène surnaturel coïncidait toujours avec le moment où le prêtre de la petite église du village bénissait les vents sur la place principale. Les habitants de la contrée attendaient avec une impatience teintée d’appréhension cette journée où le rocher semblait dévoiler son secret.

Il y a bien longtemps de cela, lors d’une année où le rocher était béant, une mère et sa fille passèrent devant lui. Elles avaient entrepris de ramasser du bois mort, ignorant totalement les dangers qui se cachaient à l’intérieur. La curiosité poussa la jeune fille à s’approcher du gouffre et c’est là qu’elle aperçut, éblouie, un amas étincelant de pièces d’or. La tentation fut irrésistible et elle se laissa entraîner par son désir de richesse. Pénétrant dans la galerie ténébreuse, elle tendit la main pour saisir une poignée de pièces dorées. Mais à peine eut-elle touché le trésor que le rocher se referma brusquement, l’emprisonnant sans pitié.

La mère, affolée, se hâta de chercher de l’aide. Elle se rendit à la paroisse voisine de Laurie, à la recherche du curé. Tremblante, elle lui raconta l’histoire terrifiante de sa fille emprisonnée par les entrailles de la montagne. Le prêtre, homme sage et bienveillant, prit le temps d’écouter attentivement. Une lueur d’espoir brilla dans ses yeux alors qu’il imaginait une solution à ce mystère.

“Attendez le prochain jour des Rameaux”, conseilla-t-il à la mère, “et apportez une somme d’argent considérable. Offrez-la généreusement pour que votre fillette soit nourrie et entretenue dignement pendant cette année de captivité.”

Un an s’écoula dans l’attente angoissée de la libération de la jeune fille. Le village était plongé dans une atmosphère de mystère et de spéculation. Les murmures de la population se mêlaient aux chuchotements des vents, tandis que tous se demandaient si le rocher allait s’ouvrir à nouveau et restituer la fillette prisonnière de son étreinte implacable.

Et enfin, le jour tant attendu arriva. La foule se rassembla autour du rocher, le souffle court et les yeux rivés sur cette masse de pierre qui avait scellé le destin de la jeune fille pendant une année entière. Les battements de cœur s’accélérèrent à mesure que le prêtre entamait ses bénédictions, emplissant l’air de prières solennelles et d’incantations sacrées.

Soudain, dans un frémissement imperceptible, le rocher commença à se fissurer. Les murmures excités se transformèrent en exclamations d’émerveillement. La foule observait avec stupeur le solide gaillard surnommé Poil-Sec, célèbre pour sa force herculéenne, qui s’approchait, armé d’une pioche. Ses muscles saillants reflétaient sa détermination inébranlable alors qu’il frappait le rocher de toutes ses forces. Les coups retentissaient comme des tonnerres lointains, mais la montagne semblait défier les lois de la nature, demeurant impénétrable.

La journée s’écoula sans relâche, le gaillard Poil-Sec redoublant d’efforts, sa sueur mêlée à la poussière qui voletait dans l’air. L’obscurité se referma finalement sur le village endormi, laissant Poil-Sec seul face au mystère du rocher. Épuisé mais résolu, il se retira pour se reposer, se promettant de revenir dès l’aube pour reprendre son combat.

Le matin se leva, éclairant de ses premiers rayons le visage marqué par l’effort du héros malheureux. Les villageois, curieux et fascinés, s’étaient de nouveau rassemblés autour du rocher. Mais alors que tous s’attendaient à une victoire triomphale, le choc fut général lorsque le rocher se présenta, immaculé et invincible, devant leurs yeux incrédules.

L’histoire du rocher de Saint-Roman, de la fillette prisonnière et des vaines tentatives pour le libérer se perpétua de génération en génération. Les habitants du village gardèrent le secret du rocher, un mystère énigmatique qui demeurait insaisissable et intrinsèquement lié à leur destinée. Et chaque année, lors du dimanche des Rameaux, le rocher rappelait à tous la force de son étreinte, semant à la fois peur et fascination dans le cœur des audacieux qui osaient se confronter à lui.

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